7 novembre 2006

Quelques réflexions sur le projet de réforme de la justice pénale

Comme chacun le sait, le garde des sceaux a présenté le 24 octobre dernier en conseil des ministres son projet de réforme, censé pallier les imperfections de notre système judiciaire, qui avaient été mises au jour lors des travaux de la commission parlementaire sur l’affaire dite d’Outreau.

Je ne reviendrai pas sur le décalage manifeste qui existe entre le rapport de la commission, et le projet de loi proposé par la Chancellerie : cela a été dit, écrit et suffisamment répété. Je n’aurai pas non plus la prétention de proposer une vision globale et académique du projet de loi, n’en ayant ni le temps ni l’envie, dès lors qu’il n’est nullement certain que ce texte soit réellement discuté devant nos assemblées parlementaires.

Pour ceux qui souhaiteraient prendre connaissance des grandes lignes de ce projet, je les invite à consulter le site du ministère de la justice, ou encore à lire l’exégèse de Monsieur Eolas.

Je ne m’intéresserai, pour ma part, qu’aux dispositions purement procédurales, étant depuis longtemps convaincu que la qualité de la justice pénale passe par le respect nécessaire des règles de procédure.

La grande innovation, annoncée avec fanfare, consiste dans l’enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des interrogatoires devant le juge d’instruction, en matière criminelle.

Cet enregistrement permettra très certainement d’éviter pour l’avenir certains débordements policiers, et éventuellement de mettre en évidence, en cours de procédure, ou plus probablement devant le juge civil à l’occasion d’une action en responsabilité contre l’état, l’éventuelle partialité d’un juge d’instruction : l’enregistrement conservera la trace du style du juge d’instruction, de son attitude vis-à-vis d’un mis en examen.

Toutefois, la part de subjectivité qui entrera dans l’appréciation du comportement d’un magistrat à l’occasion de la tenue de ses interrogatoires n’apportera pas de changement radical dans le contrôle juridictionnel de son activité.

Enfin, et je l’avais déjà écrit sur ce blog, il est hautement probable que le texte ne prévoie aucune nullité résultant de l’absence de l’enregistrement audiovisuel au dossier, ou de l’impossibilité matérielle dans laquelle pourrait se trouver l’avocat de les visionner (cela supposerait en effet que l’on installât des télévisions, ou des ordinateurs dans les couloirs d’instruction, alors qu’il est déjà difficile de trouver une table et une chaise pour consulter un dossier dans des conditions compatibles avec la dignité humaine…)

Nous pouvons donc prévoir que les enquêteurs se contenteront de rédiger un procès-verbal attestant de l’enregistrement audiovisuel de la garde à vue, que les avocats chercheront désespérément à visionner l’enregistrement, soulèveront des exceptions de nullité, et que les tribunaux correctionnels constateront que les prescriptions légales auront été respectées, dans la mesure où les policiers auront indiqué y avoir procédé.

Il s’agit donc d’une garantie de façade, qui ne protégera en rien le justiciable d’éventuels dérapages.

Venons-en à la création de pôle d’instruction, et à la généralisation de la co-saisine.

C’est une obsession du législateur contemporain que de créer des pôles spécialisés, que ce soit en matière financière, de santé publique ou de criminalité organisée.

Leur efficacité reste à démontrer : le Pôle Financier de Paris aligne aujourd’hui des résultats pour le moins mitigés.

Quant à la co-saisine, on peut douter qu’elle apporte de réelles garanties d’impartialité et de professionnalisme : il s’agit d’un système appliqué régulièrement au pôle financier de Paris, et à la galerie Saint-Eloi (qui traite des dossiers terroristes). Dans le système actuel, l’un des magistrats co-saisis dirige l’enquête, et demeure d’ailleurs le seul magistrat compétent pour prononcer des ordonnances juridictionnelles.

La co-saisine de Monsieur Clément tend seulement à prolonger la période de stage des jeunes juges d’instruction, qui feront leurs classes auprès d’un magistrat plus chevronné.

L’innovation consiste pour les parties à pouvoir solliciter l’adjonction d’un autre juge d’instruction : on imagine que la Chambre de l’instruction sera enchantée d’examiner ce genre de demande, et d’être amenées à désavouer le Président du tribunal qui aura estimé devoir désigner un juge d’instruction unique.

Ces dispositions relèvent d’ailleurs davantage de l’organisation judiciaire que de la procédure pénale proprement dite, et l’on cherche quel intérêt le justiciable pourrait trouver à voir deux magistrat s’occuper de lui plutôt qu’un seul (peut-être le courant passera-t-il mieux avec l’un qu’avec l’autre…)

En cours de procédure, les nouvelles garanties sont pitoyables : droit de demander des confrontations individuelles, et possibilité de contester sa mise en examen tous les six mois.

Alors là, du côté du barreau, on se marre : l’article 82-1 du code de procédure pénale nous permet déjà de solliciter des confrontations (et plein d’autres choses en théorie pure) dans le cadre des demande d’actes.

Dans la pratique, et dans 90 % des cas, le juge d’instruction rejette la demande d’acte. La partie peut faire appel. Cet appel est soumis au droit de filtrage du président de la chambre de l’instruction, dont la décision n’est pas susceptible de recours devant la Cour de cassation. Dans la majorité des cas, le président considère qu’il n’y a pas lieu d’engorger davantage la Chambre de l’instruction, le juge ayant parfaitement motivé son refus. Dans l’hypothèse où la Chambre de l’instruction est effectivement saisie de l’appel, et y fait droit (admettant ainsi le bien-fondé de la demande d’acte), rien n’oblige le juge d’instruction à procéder à la mesure validée par la Chambre de l’instruction.

Système particulièrement absurde, et qu’avaient justement dénoncé les avocats entendus par la commission parlementaire : il fallaitt réformer le régime des demandes d’actes, et obliger le juge d’instruction à effectuer un acte ordonné par la Chambre de l’instruction.

Or, la nouvelle réforme se garde bien évidemment de modifier le système actuel.


En ce qui concerne la contestation des mises en examen, là encore, cela prête à sourire : il est rarissime qu’un juge d’instruction confère, à l’issue de l’interrogatoire de première comparution, le statut de témoin assisté à une personne dont la mise en examen a été requise par la parquet.

D’autre part, la mise en examen relève, selon la jurisprudence de la Chambre criminelle, de la seule appréciation du juge d’instruction.

Bien que l’article 80 prévoie, à peine de nullité, l’existence d’indices graves ou concordants à l’encontre de la personne soupçonnée pour que le juge puisse la mettre en examen, les Chambres de l’instruction n’ont pratiquement jamais annulé une mise en examen pour absence de tels indices (attitude validée bien évidemment par la Chambre criminelle).

Enfin, reste l’examen contradictoire en fin de procédure (permettre aux parties de faire valoir leurs observations après le réquisitoire définitif) qui est en soi une bonne chose, car elle l’obligera les juges d’instruction, non pas à tenir compte des éléments à décharge mis en exergue par les avocats, mais au moins à placer les notes de ces derniers dans le dossier de la procédure (en cote D, celle des pièces de fond).

Voilà l’essentiel de la réformette conçue place Vendôme après le traumatisme d’Outreau.

Tout cela est bien décevant, et ne permet pas de penser que nous disposerons d’une procédure plus contradictoire, plus protectrice des intérêts de chacun dans la décennie à venir.