17 octobre 2008

Carnets BERTRAND : la plainte pénale, nouveau médium de communication

Mon excellent confrère, Me Thierry Herzog, a informé hier la presse du dépôt d’une plainte déposée au nom du Chef de l’Etat, pour dénonciation calomnieuse, les faits incriminés consistant dans la divulgation des carnets de Monsieur Yves Bertrand, ancien directeur des Renseignements Généraux.

Je relève au passage que ces carnets sont actuellement au cœur d’un bon nombre de débats judiciaires, dans la mesure où il en a été beaucoup question ces derniers jours devant la 11ème Chambre correctionnelle de PARIS, qui examine en ce moment l’affaire de l’Angolagate.

Mais revenons à la plainte pour dénonciation calomnieuse, et indiquons immédiatement les commentaires qu’elle peut susciter chez les juristes que nous sommes.

Ces carnets ont été saisis dans le cadre de l’affaire Clearstream, actuellement instruite au pôle financier de Paris. Ils n’ont donc pas été remis spontanément par leur auteur, mais saisis et placés sous main de justice.

Le Point en a publié la semaine dernière quelques extraits. Il y a donc eu une fuite, les carnets étant passés du dossier d’instruction où ils auraient dû rester, pour aller dans le tiroir d’un journaliste.

D’autre part, il apparaît que ces carnets ont été rédigés, pour un usage privé, et non pour être publiés.

Au regard de tous ces éléments, je demeure dubitatif sur la pertinence juridique de la plainte déposée par le conseil du Chef de l’Etat, pour dénonciation calomnieuse, qui implique une dénonciation volontaire et spontanée d’un fait répréhensible à une autorité pouvant y donner une suite (je résume à l’extrême le contenu de l’incrimination).

Bien plus, je m’interroge sur la recevabilité de la plainte déposée par le Chef de l’Etat, en raison de l’immunité prévue à son bénéfice par l’article 68 de la Constitution. Selon cet article modifié en 2007, le Chef de l’Etat ne peut « durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. »

Cet article n’interdit pas a priori le Président de la République de déposer une plainte, c’est-à-dire de dénoncer des faits pénalement réprimés, dont il estime avoir été victime. La Constitution nous dit effectivement qu’il ne peut « faire l’objet » d’une action, ce qui ne lui interdit pas d’être « sujet » d’une action.

Mais dans ce cas, il est évident que l’égalité des armes entre les parties, qui un principe directeur de notre système juridique issu du droit conventionnel, n’est plus respectée, de sorte que toute procédure initiée par le Président de la République serait nulle, en raison de la violation du principe de cette égalité.

En effet, la personne mise en examen dispose par son statut de la possibilité de demander des actes, des confrontations avec les autres parties, et notamment la partie civile. Elle dispose également de la possibilité de contester la recevabilité du plaignant à se constituer partie civile.
Mais comment pourrait-elle mettre en œuvre l’exercice de ces droits fondamentaux à l’encontre du Président-partie civile, dès lors que le Chef de l’Etat ne peut être l’objet d’aucun acte d’information ?

Pour le dire en un mot, le Président a le droit de frapper sur les autres, qui sont tous, sans exception, privés de la possibilité de répliquer, ou tout simplement de se protéger et de se défendre.

Mais tous ces subtilités ne présentent aucun intérêt, car nous savons que cette plainte déposée par le Chef de l’Etat n’aura aucune suite, puisque sa finalité n’est pas d’aboutir, mais de permettre au Chef de l’Etat de protester contre les accusations figurant dans les fameux carnets, sans avoir recours au droit de la presse, matière éminemment dangereuse en ce qu’elle permet une discussion sur la vérité des faits diffamatoires ou injurieux.

15 octobre 2008

Le banquier et les oeillières

Je suis passé hier faire un saut à la 11ème Chambre correctionnelle du tribunal de Paris, où se déroule actuellement le procès dit de l’Angolagate.

Pour tous ceux qui souhaiteraient en suivre le déroulement, au jour le jour, je les invite à lire les excellentes chroniques de Pascale Robert-Diard, qui suit ce procès pour le journal Le Monde.

A l’audience d’hier, la phrase du jour a bien été celle de Monsieur MAILLE, ancien cadre de la cellule « compensation » de la Banque PARIBAS, qui a structuré le financement des armes achetées par l’Angola.

Le banquier, ou plutôt le cadre de banque, dans un élan de sincérité a déclaré, sur une question du ministère public : « quand on est banquier, il faut savoir avoir des œillères », phrase immédiatement relevée par le Président Parlos, qui l’a fait acter aux notes d’audience, phrase reprise par la presse, soucieuse de mettre en exergue le cynisme des banquiers, peu regardant sur le dessous des opérations qu’ils financent.

Mais le plus important, pour moi, n’était pas là (s’indigner du cynisme de la profession de banquier, c’est à mon sens un peu facile, même si c'est dans l'air du temps…)

Non, l’essentiel est ailleurs. Après avoir fait acter la déclaration précitée, le Président a en effet ajouté : « le tribunal n’est pas là pour faire la morale ».

Pas de morale dans le prétoire. Pas de morale lorsqu’il s’agit de justice, cela signifie n’apprécier que les faits, et ne s’intéresser qu’à leur qualification juridique. Laisser de côté le sens commun, l’opinion publique, tout ce qui relève de la doxa, pour ne s’attacher qu’à la question de savoir si les infractions poursuivies ont été commises, un point c’est tout.

Il est dommage que cette maxime très saine, « pas de morale », ne soit pas unanimement partagée par la magistrature…

17 septembre 2008

Une vraie question…

A quoi sert le délai de trois mois prévu par l’article L.521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?

Replaçons la question : lorsque la préfecture, saisie d’une demande de titre de séjour, en refuse la délivrance ou le renouvellement, en assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire, l’étranger intéressé dispose d’un délai d’un mois pour demander l’annulation de cette décision au tribunal administratif.

Le code prévoit que le tribunal « statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine ».

Comme je fais un peu de droit des étrangers, pour réduire les quotas de Monsieur HORTERFEUX, j’ai reçu récemment un récépissé d’un tribunal administratif, m’informant de la date à laquelle mon recours serait examiné, cette date étant fixée plus de trois mois après le dépôt de ma requête (donc de la saisine du tribunal).

Je me suis alors demandé : quelles sont les conséquences du dépassement du délai de trois mois, fixé par le code ?

En l’état actuel de mes recherches, je n’en vois pas, et je serais amené à penser que les tribunaux administratifs pourraient en toute légalité statuer sur une demande d’annulation dans des délais infiniment plus longs, en permettant ainsi aux étrangers de bénéficier pendant tout ce temps de l’effet suspensif de leurs recours.

Je suis preneur de tout commentaire sur cette question.

3 juin 2008

Quand la justice s’intéresse à la virginité….

Le traumatisme collectif causé par l’annulation d’un mariage, prononcé sur le fondement de l’article 180 du code civil, par le tribunal de grande instance de Lille, n’aura échappé à personne.

Sur le fond, je renvoie au billet de mon confrère Eolas, qui a très bien résumé la problématique soulevée tant par les dispositions de cet article du code civil que par le cas d’espèce soumis à la juridiction lilloise.

Ma position rejoint la sienne : le tribunal n’a pas annulé ce mariage pour cause de non-virginité, contrairement à ce qu’on lit actuellement un peu partout, mais pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint.

Cette formulation juridique signifie que le mari croyait que sa future présentait cette qualité, à ses yeux capitale, sans laquelle il n’aurait pas consenti au mariage, alors qu’elle n’en était plus pourvue. Il convient également de souligner que la mariée avait trompé son mari sur ce point, ce qui montrait qu’elle avait suffisamment conscience de l’importance de cet état pour son futur.

La seule vraie question qui se pose, c’est de savoir si l’on a encore le droit dans ce pays de considérer la virginité de son épouse comme une qualité essentielle.

Pour ma part, ce point n’est pas déterminant, et si je n’étais déjà marié, je ne verrai aucun inconvénient à convoler avec une charmante demoiselle l’ayant perdue au hasard des rencontres.

Mais j’accepte volontiers que la virginité d’une femme et le pucelage d’un garçon puissent être des éléments importants, décisifs, pour des considérations religieuses, philosophiques ou autres. J’ai suffisamment fréquenté de catholiques pour savoir que cette question n’est pas le seul apanage de nos amis musulmans.

Au regard de ces considérations juridiques et morales, la décision du tribunal de Lille m’apparaît exempt de toute critique, et je ne vois pas au nom de quel principe supérieur l’on vient aujourd’hui emmerder, pardonnez-moi le mot, les deux mariés concernés par cette affaire en les obligeant à se payer une nouvelle instance devant la Cour d’appel.

La Chancellerie vient de confirmer qu’elle demandait au parquet d’interjeter appel.

La première réaction de Madame Rachida Dati, qui consistait à défendre le jugement jeté à la hargne de l’opinion publique, avait, pour une fois, été la bonne, même si elle aurait dû se contenter d’affirmer que le tribunal lillois avait simplement appliqué le droit, au lieu d’aller chercher des explications, un peu tirées par les cheveux, sur les effets protecteurs pour la mariée de l’annulation prononcée.

Mais c’était oublier la volonté du Prince, qui est aujourd’hui supérieure à la loi.

Et le Prince a souhaité que l’on en restât à des considérations simplistes sur de grands idéaux : il fallait donc que son Garde des sceaux fît le nécessaire pour que l’affaire soit dévolue à la Cour d’appel. Si par malheur, la Cour devait confirmer le jugement déféré, le Prince ordonnera très certainement que l’affaire soit soumise à la Cour de cassation.

Le Parti socialiste n’est pas en reste, et demande qu’on légifère sans tarder, en rappelant qu’en France on ne distribue pas de « certificat de virginité ». Rejoignant l’UMP, le Parti socialiste demandera-t-il la suppression du code civil de toute possibilité d’annulation de mariage ? Se contentera-t-il d’introduire une énumération des erreurs acceptables aux yeux de l’opinion, ou bien d’établir une liste des erreurs prohibées ?

Tout cela ne rime à rien.

Ce qui m’amuse (parce que le droit et la perception du droit par les profanes est une source de joie intarrisable), c’est que l’opinion découvre à l’occasion de cette annulation que la justice non seulement peut anéantir un mariage, mais encore le faire en utilisant le critère de la virginité de l’épouse.

Ce critère, qui relève pour les associations militant pour la cause des femmes de la sphère intime de chacune, ainsi que d’une liberté sexuelle chèrement acquise, est pourtant très fréquemment utilisé par nos chères juridictions pour apprécier l’existence d’une erreur sur les qualités essentielles.

La virginité de l’épouse permet en effet aux juges du fond d’établir l’absence de consommation du mariage, et partant l’existence d’une erreur permettant l’annulation du mariage. Ce qui est retenu dans les cas d’espèce publiés, ce n’est pas l’absence de virginité qui semble faire bondir tout le monde, mais la virginité elle-même de la mariée.

L’une des erreurs les plus fréquemment retenue pour prononcer la nullité du mariage est celle qui porte sur l’aptitude du conjoint à avoir des relations sexuelles normales.

La Cour d’appel de ROUEN, dans un arrêt du 6 mars 2008, a rappelé que « il y a notamment erreur sur une qualité essentielle lorsque l'époux s'est trompé sur l'aptitude de son conjoint à avoir des relations sexuelles normales ou à procréer, pour incapacité fonctionnelle du mari de copuler avec sa femme, laquelle est demeurée "virgo intacto" ou encore lorsque l'autre époux était dépourvu de la volonté de s'unir effectivement et durablement et d'en assumer les conséquences légales ».

Pour démontrer l’absence de consommation du mariage, la cour a donc apprécié un certificat de virginité établi avant le mariage, et un autre établi après son départ du domicile conjugal.

Le mari refusant de créer une intimité sexuelle avec son épouse, et partant son « défaut de volonté de s’unir effectivement et durablement dans les termes communément admis », l’épouse avait donc commis une erreur sur les qualités essentielles de son conjoint de nature à justifier l’annulation du mariage.

Comment fera-t-on lorsqu’il sera interdit en justice pour une épouse de se prévaloir de sa propre virginité, lorsque les médecins n’auront plus le droit de délivrer, sauf dans les affaires criminelles, des certificats de cette natures ?

Car le certificat de virginité est bien le seul moyen de prouver l’absence de consommation du mariage, et partant l’absence de réelle intention matrimoniale du mari (cf. Cour d’appel de Bordeaux, 19 octobre 2005 ; Cour d’appel de DIJON, 15 mai 2003 ; Cour d’appel de DIJON, 18 décembre 2001).

Bref, en un mot comme en mille, ce n’est pas au législateur d’apaiser les fureurs de l’opinion publique, en pondant des textes de médiocre qualité, à chaque fois que le droit vient se cogner aux aspérités de notre société et de nos mœurs : mais il appartient à nos tribunaux, à notre justice, de faire évoluer le droit en concert avec les changements de société, comme il l’a toujours fait.

Autre certitude : il appartient au Garde des sceaux d’expliquer à l’opinion publique le sens et la cohérence du droit, et non d’être l’instrument de la volonté du Prince.

5 mai 2008

Sur la suppression des avoués (Réponse à Me Eolas)

J’étais tranquillement parti en week-end prolongé, et c’est en revenant que je me suis aperçu d’une hausse sensible de la fréquentation de mon site, tout à fait inhabituelle en période de congé.

J’ai vite compris que j’avais eu l’honneur d’être cité par mon confrère Eolas, dans son billet portant sur l’épineuse question de la suppression des avoués près la cour d’appel. Je tiens tout d’abord à l’en remercier, et ensuite à exposer plus en détail ma position.

Je suis en effet favorable à la suppression de cette profession, et à sa fusion avec la profession d’avocat, de telle sorte qu’une profession unique puisse assurer la représentation des parties et devant les tribunaux de grande instance, et devant les cours d’appel.

Cette proposition a été reprise dans le rapport ATALI, dont on nous dit qu’il est définitivement enterré (ce qui à mes yeux ne saurait entraîner ipso facto la condamnation de l’ensemble des propositions qui y sont consignées).

La proposition concernant les avoués est la décision 213 :

« Supprimer totalement les avoués près les cours d’appel (444 avoués regroupés en 235 offices).

Les avoués près les cours d’appel ont le monopole de la représentation devant la cour d’appel pour tous les actes de procédure. Leur monopole avait déjà été supprimé en 1971 pour les actes de représentation devant les tribunaux de grande instance. Les avoués avaient alors été indemnisés de la perte de leur monopole, au terme cependant d’un débat législatif qui avait remis en question l’existence d’un droit de propriété dans la mesure où la réforme ne s’accompagnait pas de la perte d’un bien. La situation actuelle ne se justifie en aucune manière. Dans l’immense majorité des cas, les avoués ne rédigent plus les conclusions devant les cours d’appel. Leurs honoraires sont liés au montant du litige et sont perçus indépendamment de l’issue de la procédure, ce qui crée un surcoût artificiel à l’accès à la justice. Dans l’ensemble, leur valeur ajoutée par rapport aux avocats est de plus en plus difficile à justifier pour les justiciables. Il convient donc de supprimer la profession d’avoué près les cours d’appel et de permettre à tous ces professionnels de devenir avocats. »

La Commission ATALI a donc constaté que :
  • le monopole des avoués de première instance avait été supprimé à l’occasion de la loi du 31 décembre 1971, la postulation ayant été transférée à la profession d’avocat ;
  • dans la majorité des affaires, les avoués ne rédigeaient plus les écritures, ce travail étant assuré par les avocats : le rôle des avoués se limitait donc à de la pure postulation (déclaration d’appel, mise en état, signification à avoué des arrêts, état de frais);
  • la rémunération des avoués était partiellement fixée sur le montant du litige, indépendamment de l’issue de celui-ci;
  • les justiciables éprouvaient de la difficulté à saisir la valeur ajoutée (l’utilité) de l’intervention de cette profession.

Pour assurer la défense des intérêts de cette profession, ô combien menacée, mon excellent confrère EOLAS fait valoir, avec la sincérité qui le caractérise, que les avoués sont nécessaires, voire indispensables, à la bonne conduite des affaires devant la cour, dans la mesure où ils seraient des « spécialistes » de la procédure civile devant cette juridiction. Les réactions négatives ou intéressées des confrères souhaitant la suppression de cette profession relèveraient, quant à elles, d’une incompréhension de la fonction de l’avoué.

Mon confrère passe toutefois sous silence deux problèmes très importants, que sont la tarification des actes effectués par les avoués, et la délicate question de l’indemnisation résultant de la suppression des charges. Nous y reviendrons.

Pour ce qui est de l’incompréhension du rôle exact de l’avoué dans le déroulement d’une procédure, mon confrère me permettra de penser que je suis tout aussi capable que lui et que l’ensemble de mes confrères de me faire une idée de l’intérêt de cette profession, dans la mesure où je dois aller en appel tout aussi souvent que lui.

Bref, je n’ai pas attendu que mon confrère ouvre son blog, au demeurant excellent, pour me poser la question de l’utilité ou de l’inutilité de l’avoué, et j’aurai même tendance à penser que sa position est quelque peu marginale au sein de nos barreaux (il conviendrait de faire un petit sondage sur cette question).

Quoi qu’il en soit, l’argument tenant à la spécialisation des avoués ne me semble pas suffisamment pertinent pour justifier à elle seule le maintien de cette profession. Je ne dis pas que les avoués ne sont pas, en raison de leur pratique quotidienne, experts en procédure, mais simplement que cette expertise n’est pas suffisante à légitimer le maintien d’un monopole.

En effet, comme l’a très justement rappelé mon confrère, la postulation devant les tribunaux de grande instance était, avant la réforme de 1971, assurée par des avoués près ces tribunaux.

Personne ne contestera qu’ils étaient également des spécialistes de la procédure civile, écrite (à tel point que la loi prévoira d’ailleurs la possibilité pour les avocats, surtout pénaliste, qui ne souhaitaient pas compromettre la beauté de leur profession par une pratique procédurière à leurs yeux tout à fait indigne, de renoncer à la postulation – ce que fit par exemple Me Jacques ISORNI, qui avait assuré la défense du Maréchal Pétain, aux côtés du Bâtonnier Payen).

Toutefois, la réforme est intervenue, les avoués de première instance ont disparu, et les avocats ont reçu la charge d’assurer la postulation devant les tribunaux de grande instance. Pour certains d’entre eux, les défunts avoués avaient annoncé un cataclysme dans la justice civile : tout se passe très bien, et nous autres avocats assurons très correctement le déroulement des procédures.

Me Eolas, et moi-même, sommes donc, en théorie du moins, des spécialistes de la procédure civile devant ces juridictions, et ce serait faire injure à nos intelligences respectives que d’affirmer que nous serions incapables d’acquérir la même expertise devant les cours d’appel.

Au passage, je relèverai que nous sommes également des spécialistes de la procédure pénale, qui n’a rien à envier à la procédure civile en termes de complexité, lorsque nous nous chargeons du contentieux de l’annulation, devant la chambre de l’instruction ou devant les juridictions de jugement répressive.

L’autre argument avancé par mon confrère pour défendre le monopole de nos amis les avoués, c’est d’indiquer qu’ils connaissent leurs magistrats, les conseillers de la cour d’appel auprès desquels ils travaillent (ça sent bon les épices !), et seraient donc en mesure d’apprécier les chances de succès d’une argumentation en appel mieux que quiconque, en raison de leur parfaite connaissance de la jurisprudence des chambres devant lesquels ils interviennent.

C’est incontestable, mais un bon avocat, ayant accès à une base de données jurisprudentielles, peut également se faire une idée assez précise de l’état de la jurisprudence devant une Cour déterminée, en étudiant les arrêts prononcés par cette dernière dans la matière qui l’intéresse.

Rien ne s’oppose à mes yeux à une fusion de la profession d’avoué à celle d’avocat : cette fusion permettrait au contraire d’offrir au justiciable un interlocuteur unique, capable de suivre son dossier et de mener la procédure, des juridictions de première instance jusques devant la Cour d’appel.

La fusion des professions n’empêchera nullement aux avoués devenus avocats, de conserver une certaine forme de spécialisation, comme c’est actuellement le cas des avocats mandataires devant les tribunaux de commerce : Me EOLAS semble oublier en effet que les anciens agréés ont également fusionné avec les avocats en 1971, sans que personne aujourd’hui ne s’en plaigne.

Mais il ne saurait y avoir de fusion des professions d’avoué et d’avocat, sans une révision générale de la tarification des actes de postulation, tant en première instance qu’en appel. Supprimer la profession d’avoué pour permettre aux avocats de bénéficier de la même tarification n’aurait pas un grand intérêt pour le justiciable.

Il est donc nécessaire de réformer le décret du 2 avril 1960, fixant le tarif des avoués, qui est totalement archaïque, notamment en ce qui concerne le droit proportionnel qui est calculé, sous certaines réserves, sur le montant total des conclusions tant principale qu’incidentes (article 5), et non sur les sommes réellement accordées par le tribunal ou par la cour.

Pour finir, tout le monde aura compris que le frein majeur à cette réforme, qui me semble participer d’une justice plus moderne, et plus efficace, reste la question de l’indemnisation des charges qui seraient supprimées.

Il convient de rappeler à ce sujet que l’indemnisation des avoués de première instance ayant perdu leurs charges avait été assuré en 1971 par la création d’un fonds d’indemnisation alimenté par une taxe parafiscale, payée par les plaideurs eux-mêmes sur les actes de procédure accomplis.

29 avril 2008

L'enfer des amendes forfaitaires majorées

Encore un petit billet, et après promis, je m'arrête pendant 2 mois.

Je viens de lire un article intéressant sur la question des amendes forfaitaires majorées, sur le site de Médiapart.

Je vous invite à le lire.

Je disparais.

Qu’il m’arrive de travailler pour les avoués, et que la réciproque est vraie également

Je viens de m’apercevoir que je n’ai rien publié depuis le mois de février : c’est énorme, mais mes fidèles lecteurs me le pardonneront sans difficulté. Il faut bien travailler, et il n’est pas évident de concilier une activité professionnelle intense avec l’entretien et la mise à jour d’un blog juridico-judiciaire (dans mon cas, c’est plutôt judiciaire).

Je dois avouer, à ce propos, que je reste admiratif devant les très longs posts qui sont publiés quotidiennement sur le site de mon confrère Eolas. Si nous sommes égaux en droits, il est clair que la nature ne nous a pas tous dotés des mêmes capacités.

Après ces considérations d’ordre général, il me faut absolument remercier mes amis les avoués, et plus particulièrement leur personnel : grâce à eux, ce site a connu une fréquentation considérable et régulière, sans que je sois justement obligé d’y publier chaque jour.

J’avais en effet mis en ligne, il y a longtemps, un petit billet plein de hargne, qui se voulait moqueur, mais qui traduisait en réalité un énervement passager, imputable à un avoué en particulier dont le comportement m’avait passablement énervé.

Je n’ai rien contre les avoués, d’une manière générale.

Dans la mesure où je suis obligé de recourir à leurs services lorsqu’il me faut mener une procédure en appel, je travaille volontiers avec eux. Toutefois, je me permets de considérer que s’ils disparaissaient, je serais bien obligé de faire sans eux, et que dans l’absolu, cette situation ne serait pas nécessairement catastrophique.

Je n’ai rien contre les avoués, si ce n’est peut être lorsqu’ils perçoivent un droit proportionnel sur les sommes que j’ai obtenues pour le compte de mon client, grâce à l’argumentation juridique que j’ai élaborée sans leur secours. Cette irritation est la même d’ailleurs que celle que je peux éprouver lorsque l’un des mes confrères, intervenant en qualité de postulant, facture également ce droit proportionnel, sur le résultat de mon travail.

Je n’ai rien contre les avoués, si ce n’est peut-être lorsque je me pointe devant une Cour d’appel de province, et que je me retrouve comme un imbécile sans mon avoué lors de l’appel de causes ; lorsque je dois me présenter tout seul comme un grand au président de la chambre devant laquelle je dois plaider, sans avoir mon avoué comme intercesseur ; lorsque je trouve dans la salle d’audience la chemise de procédure, abandonnée-là par mon avoué à mon attention.

Je n’ai rien contre les avoués, lorsque je me débrouille tout seul, et sans dégât, devant la Cour d’appel dans des procédures sans représentation obligatoire (mais ce qui est rageant dans ce cas, c’est que je n’ai pas le droit, moi, de facturer un droit proportionnel si j’obtiens des sommes considérables pour mon client, en plus de l’honoraire de résultat, cela s’entend.)

Non, à bien y réfléchir, je n’ai vraiment aucune critique sérieuse à émettre à l’égard de cette profession.

1 février 2008

Pour une nouvelle classification des nullités…

En prenant connaissance d’une procédure (pénale, bien évidemment), tout avocat rêve de trouver une belle nullité qu’il pourrait soulever in limine litis (en français dans le texte, ça donne : au seuil du procès, avant toute défense au fond, comme le dit l’article 385 du code de procédure pénale, in fine).

Avant d’aller plus, qu’est-ce qu’une nullité ?

Selon le Littré, c’est le défaut qui rend un acte nul (la définition est très général, et peut s’appliquer aussi bien aux nullités en procédure civile qu’à celles qui concernent la procédure pénale).

Selon la doctrine, la nullité, plus que l’état d’un acte, est davantage analysée comme une sanction, qui anéantit l’acte qui est en affecté.

Venons-en à la classification des nullités par la doctrine (nous verrons ensuite que cette classification n’a pas été reprise par la jurisprudence, qui a mis en place un autre système de classification).

La doctrine distingue traditionnellement les nullités textuelles des nullités substantielles.

Comme son nom l’indique, la nullité textuelle est expressément prévue par un texte, principalement par le code de procédure pénale. La formalité procédurale à respecter est souvent prévue « à peine de nullité » par le texte qui la prévoit.

C’est le cas notamment des règles régissant les perquisitions et les saisies (article 56 et suivant s du code de procédure pénale), la mise en examen (article 80-1), les écoutes téléphoniques (article 100-7).

Il y a très peu de nullités textuelles dans le code. Or, les règles de procédure sont prévues pour garantir et l’efficacité de la poursuite et des enquêtes, et les droits des parties (mis en examen, partie civile).

C’est pourquoi la doctrine a dégagé, à partir de la jurisprudence prononçant des annulations pour nullités non prévues expressément par des textes, la notion de nullités substantielles.

Le caractère substantiel de la nullité n’est pas fixé par le législateur, et une très grande latitude est laissée aux juges pour l’apprécier.

A cette classification, textuel/substantiel, est venu s’ajouter une autre classification de la doctrine, résultant d’une part de la prise en considération de la nature de l’intérêt protégé, et d’autre part de la classification retenue par la jurisprudence, et notamment par la Chambre criminelle.

Lorsque la nullité protége l’intérêt d’une partie à la procédure, qu’elle peut seule invoquer, la nullité est dite d’ordre privé. Quand la nullité garantit une règle procédurale considérée comme essentielle à la validité d’un acte, elle est dite d’ordre public.

En effet, la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, emploie très rarement la distinction ordre privé/ ordre public.

Le critère permettant de faire le départ entre chaque type de nullité consiste dans le grief que cause la nullité.

L’article 802 prévoit que la partie qui invoque une nullité doit démontrer l’existence d’un grief. Toutefois, la Chambre criminelle a estimé que certaines nullités portent « nécessairement grief ». Dans ce cas, la partie qui invoque la nullité n’a pas à faire la démonstration de l’existence d’un grief.

Pour résumer, une nullité d’ordre privé est une nullité pour laquelle la jurisprudence considère que la partie qui l’invoque doit démontrer l’existence d’un grief, la nullité d’ordre public est la nullité qui « porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concernent »

Bien. Tout cela est très amusant, mais on peut se demander à quoi servent ces classifications aux praticiens. A priori, à pas grand-chose.

L’avocat qui envisage de soulever une nullité se pose deux questions : la jurisprudence sanctionne-t-elle la violation de cette règle de procédure, et dans quelles circonstances ? dans l’hypothèse d’une jurisprudence défavorable à la nullité, y a-t-il un espoir de revirement de jurisprudence ?

D’où une nouvelle classification des nullités à l’usage des praticiens.

La nullité efficace serait la violation d’une règle de procédure sanctionnée par l’annulation quasi certaine des actes de procédure vicés.

Par exemple, la loi prévoit que le gardé à vue peut demander lors de la notification de ses droits à s’entretenir avec un avocat commis d’office. Dans ce cas, le code prévoit que le Bâtonnier de l’ordre des avocats doit être informé de cette demande sans délai. L’avis adressé au bâtonnier 6 heures après le début de la garde à vue est sanctionné par la nullité de la procédure. La jurisprudence de la Cour de cassation, et des juridictions du fond, sont sans ambiguïté là-dessus.

La nullité est donc efficace, parce que l’exception soulevée, il est quasi certain qu’elle sera accueillie.

Au contraire, certaines violations des règles procédures ne sont pas sanctionnées de nullité par la jurisprudence. Par exemple, en ce qui concerne l’information du parquet lors du placement en garde à vue (qui doit être faite dès le début de la garde à vue), même en l’absence de tout justificatif dans la procédure de l’information effective du parquet et du moment où est intervenue cette information, la nullité sera rejeté, dès lors que les enquêteurs auront indiqué dans le procès-verbal avoir avisé immédiatement le procureur de la République.

La nullité est donc inefficace.

Enfin, il existe une troisième catégorie de nullité pour le praticien, la nullité incertaine.

Il s’agit de la nullité sur laquelle la jurisprudence ne s’est pas prononcée avec suffisamment de clarté (en l’absence par exemple de décisions de la Cour de cassation), de celle pour laquelle on pourrait pressentir un revirement de jurisprudence, ou encore de celle qui est soumise à la démonstration d’un grief (la nullité d’ordre privé).

Quel est l’intérêt pratique de cette classification ?

Permettre au praticien de prendre une décision sur l’opportunité de soulever une exception de nullité.

La nullité efficace doit être soulevée dans tous les cas, la nullité inefficace doit être abandonnée, et la nullité incertaine peut être tentée, soit dans l’espoir d’un succès, soit dans le but très noble de contribuer à l’évolution de la jurisprudence.

30 janvier 2008

Sur la création d’une base de données répertoriant les arrêtés préfectoraux par date et par signataire….

Les praticiens du droit des étrangers savent que parmi les moyens d’annulation habituellement soulevés par les avocats, pour contester la légalité d’un arrêté préfectoral emportant refus de séjour figure en très bonne place celui de l’incompétence de l’auteur de l’acte administratif.

Ce moyen qui concerne la légalité externe de l’arrêté préfectoral repose sur le raisonnement juridique suivant.

L’article 5 du décret n°46-1574 du 30 juin 1946 prévoit que la décision de refus doit être prise par le préfet du département dans lequel l’étranger a sa résidence, et à PARIS, par le préfet de police.

Le préfet peut toutefois déléguer sa signature à un membre de son cabinet ou au chef du service des étrangers, à la condition toutefois que cette délégation soit expresse et fasse l’objet d’une publication au bulletin de la préfecture ou du bulletin municipal officiel de la ville de Paris.

Selon une jurisprudence constante, la préfecture n’a pas à produire aux débats la justification de la publication officielle, même si elle le fait lorsque la compétence d’un délégataire est remise en cause.

Tous ceux qui ont l’occasion de lire un arrêté portant délégation de la signature préfectorale savent que la délégation fonctionne en cascade, les subordonnés devenant compétent dans l’hypothèse de l’empêchement ou de l’absence de leurs supérieurs hiérarchique.

Ceux qui ont le plaisir de se pencher sur la légalité des actes de la préfecture de police de PARIS ont pu constater que la compétence des signataires des arrêtés était conditionnée par l’absence ou l’empêchement d’une quinzaine de personnes…

Bien évidement, la charge de la preuve de l’empêchement ou de l’absence du supérieur hiérarchique incombe au requérant.

Cette preuve serait suffisamment rapportée par la production d’un arrêté signé par l’un des supérieurs de l’acte que l’on souhaite constater sur le terrain de l’incompétence.

D’où la création d’une base de données, alimentée par les associations et les avocats pratiquant le droit des étrangers, répertoriant chaque arrêté par signataire et par date.

Reste à définir les conditions qui permettraient à cette base d’être conforme aux prescriptions de la CNIL…