25 octobre 2006

Laborieux le Labori de Thierry LEVY ?

Thierry LEVY est avocat au barreau de Paris.

Il écrit depuis longtemps. Il écrit beaucoup, et il écrit habituellement de fort bons livres.

J’avais lu autrefois son Justice sans Dieu, qui, au travers d’une relecture original et documentée des travaux de Philippe de Beaumanoir, jurisconsulte du XIIIème, nous proposait un retour vers un système accusatoire, plus équitable et plus juste.

J’avais également apprécié son Eloge de la barbarie judiciaire, où il développait cette thèse qui est la sienne depuis longtemps, à savoir que tout est joué au stade de la garde à vue, où l’avocat ne peut jouer aucun rôle efficace (à l’exception de l’entretien purement psychologique prévu par la loi).

Pratiquant également le droit de l’application des peines, j’avais retrouvé son goût pour le paradoxe, avec lequel il jouait volontiers dans Nos têtes sont plus durs que les murs des prisons, ouvrage singulier dans lequel il proposait l’extension de la surveillance électronique pour l’ensemble des peines, et surtout pour les plus longues.

C’est donc avec beaucoup d’entrain que je me suis lancé dans la lecture de Labori, pour Zola, pour Dreyfus, contre la terre entière, livre co-écrit par Thierry Levy et Jean-Pierre Royer, paru aux Editions Louis Audibert

Et j’ai été déçu.

Déçu tout d’abord parce que l’ouvrage m’est rapidement apparu comme une biographie prétexte, éditée très opportunément en pleine période de commémoration de l’arrêt prononcé en 1906 par la Cour de cassation, réhabilitant le capitaine Dreyfus.

Je suis passionné par les biographies, lorsqu’elles restituent la vie d’un personnage historique au travers d’un véritable travail de recherche, réalisé sur l’ensemble d’une vie. J’aime les biographies, lorsque le texte renvoie à des milliers de notes, elles-mêmes nourries par des milliers de références. Je veux avoir l’impression que l’auteur, que l’historien a épuisé toutes les sources, consulté tous les fonds, lus tous les ouvrages sur la personne et sur l’époque.

Dans le Labori de Thierry Levy, rien de tel. Après un passage obligé par l’enfance et les origines familiales, nous arrivons très rapidement à l’entrée de Fernand Labori au barreau de Paris, avec un passage rapide et obligé sur le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la rentrée solennelle du barreau, en qualité de deuxième secrétaire de la conférence du stage.

Nous allons ensuite l’accompagner dans l’affaire Dreyfus, et notamment à l’occasion du procès d’Emile Zola devant la Cour d’assises : l’ambiance est restituée, sans plus, et je ne suis pas certain que Maurice Garçon ait été moins complet dans son Histoire de la justice sous la IIIème république.

Les auteurs nous présentent ensuite l’aventure du second conseil de guerre, tenu à Rennes, et retracent avec beaucoup de finesse les conflits qui apparaissent sur la ligne de défense du capitaine Dreyfus, et notamment l’opposition de Labori, qui souhaitait un combat frontal contre l’accusation et l’armée, et Edgard Demange, l’autre avocat de Dreyfus, qui ne voulait pas faire le procès de l’institution militaire.

Après la tragédie de Rennes, Labori ayant refusé de plaider, une très grande déception : les événements postérieurs de la vie de Labori sont expédiés, et toujours analysés au regard du ressentiment du grand avocat à l’égard de la famille Dreyfus.

On reste donc un peu sur sa faim, d’autant plus que l’on pouvait attendre mieux d’un avocat rendant hommage à l’un de ses prestigieux prédécesseurs à la conférence du stage. On pouvait également attendre mieux d’un historien, Monsieur Royer, ayant commis un ouvrage sur l’histoire de la IIIème république.

Plus désagréable encore : le style a pâti de cette écriture à quatre mains, certains passages manquant singulièrement de légèreté et d’élégance.

Enfin, l’iconographie n’est pas non plus à la hauteur du sujet, l’ensemble des photographies étant très largement connus, pour avoir été publiées en 2002 dans un ouvrage consacré à Paris et ses avocats.

Cet ouvrage ne manque pas cependant pas totalement d’intérêt, dans la mesure où il restitue à grands traits l’épopée d’un avocat singulier dans une affaire exceptionnelle, constitutive de notre histoire et de notre identité.

20 octobre 2006

« C’est possible, c’est réalisable ! »

Que les professionnels du droit se le disent : le droit pénal demeure en pleine mutation, et l’avenir nous réserve un déluge pléthorique de textes sans précédent.

Le ministre de l’intérieur, qui est en campagne électorale, vient de proposer un nouveau renforcement de notre appareil répressif : il appartient aux juristes que nous sommes de participer à l’élaboration technique des nouvelles règles qui gouverneront demain notre droit pénal et notre procédure.

Prévoir un placement obligatoire en détention provisoire pour toute personne mise en examen du chef d’atteinte à l’intégrité physique.

Le principe directeur est simple : nous ne pouvons plus accepter la place indigne réservée aux victimes dans notre système judiciaire, et il faut apporter une réponse radicale à toute atteinte à l’intégrité physique.

La réforme devra donc prévoir la mise en place d’un placement obligatoire en détention provisoire, sans saisine préalable du juge des libertés et de la détention, dès lors que les faits reprochés à la personne mises en examen sont prévus par le livre 2 du code pénal.

Après la mise en examen, le juge d’instruction délivrera automatiquement un mandat de dépôt d’une durée initiale de 4 mois, automatiquement renouvelable 2 fois par le juge d’instruction sans débat contradictoire (il conviendra également de limiter l’exercice d’un appel devant la chambre de l’instruction à des conditions strictes conditionnant sa recevabilité, par exemple que le détenu justifie de motifs graves et pertinents tendant à sa mise en liberté, le président de la chambre de l’instruction disposant en contrepartie du pouvoir de déclarer non-admis l’appel par ordonnance non motivée, et non susceptible de recours).

Les demandes de mise en liberté seraient également interdites, jusqu’à ce que le juge d’instruction ait pris une ordonnance de règlement, le principe étant d’instaurer une détention qui soit de principe, la liberté demeurant exceptionnelle pour ce type d’infraction.

Pour indemniser les détentions qui après ordonnance de non-lieu apparaîtraient comme non justifiées, le législateur pourra mettre en place un système d’indemnisation automatique, permettant au juge d’instruction d’allouer à la personne mise en examen détenue une indemnité forfaitaire par journée de détention (qui serait fixée par décret). Cette indemnisation automatique permettrait aux services du premier président de ne plus s’occuper d’une bonne partie du contentieux de la réparation des détentions provisoires.

La Cour d’assises, juridiction compétente pour connaître de toute infraction commise à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique.


Cette règle de compétence salutaire devra être étendue, c’est l’évidence, à toute infraction, dès lors qu’elle a été commise au préjudice d’un policier, d’un gendarme ou encore d’un pompier (avec une extension progressive vers l’ensemble des professions relevant d’un service public).

Toute infraction, y compris les outrages, les injures et diffamations, relèveront de la compétence de la cour d’assises, qui retrouvera ainsi la compétence naturelle qu’elle avait aux premiers temps de la loi sur la presse.
Introduction du jury populaire dans les tribunaux correctionnels


Pour parer au laxisme ambiant tant dénoncé, il convient de parfaire la composition des juridictions correctionnelles selon un principe de gradation, fixée en raison de la peine encourue ou de la nature de l’infraction.

Juge unique pour les délits de moindres importances, tribunal correctionnel en formation collégiale pour les délits d’importance moyenne, et tribunal correctionnel à jury populaire pour les délits les plus graves.

Pour permettre au jury d’exercer pleinement son pouvoir juridictionnel, il conviendra de réserver au "tribunal proprement dit" (les trois magsitrats professionnels) les questions purement juridiques (contentieux de nullités, purement procédural). Les décisions prononcées par le tribunal ainsi composé ne seront pas motivées, et seront susceptibles d’appel devant des chambres des appels correctionnels à jury populaire.

Bien évidemment, le jury se prononcera sur la culpabilité, mais encore sur la peine qu’il convient de prononcer. Il participera également à toute décision sur le maintien en détention, ou sur la délivrance d'un mandat de dépôt à l'audience, par décision non motivée.

Instauration d’une peine plancher pour les multi-récidivistes.


Il est temps en effet de punir sévèrement ces délinquants qui démontrent par leurs comportements qu’ils sont inaccessibles à la sanction pénale. Le ministre de l’intérieur souhaite que le délinquant puisse prévoir la peine qu’il risque d’encourir s’il a nouveau condamné.

Mais il convient également d’adapter la peine encourue, et que la juridiction sera dans l’obligation de prononcer en cas de condamnation, à la situation particulière du délinquant.

D’où l’introduction dans le code pénal de la notion de « peine cumulée individualisée » (dite PCI) : pour tout délinquant qui aura été condamné à plus de trois reprises, poursuivi en état de récidive légale, la peine cumulée individualisée que le tribunal sera tenu de prononcer sera égale au cumul de l’ensemble des peines précédemment prononcées, dans la limite du maximum légal encouru pour l’infraction visée à la prévention, étant précisé que les peines prononcées et assorties du sursis simple ou du sursis avec mise à l’épreuve seront considérées, pour la détermination de la PCI, comme des peines fermes, que les sursis aient été révoqués ou non.

Exemple pratique : Monsieur X, poursuivi pour vol aggravé par deux circonstances, a été condamné à 5 reprises aux peines suivantes : 2 mois avec sursis, 6 mois avec SME, 1 an ferme, 18 mois fermes, 6 mois fermes : la PCI sera de 3 ans et 8 mois d’emprisonnement ferme. Le tribunal sera tenu de prononcer cette peine, sans pouvoir la diminuer mais en pouvant l'aggraver par décision spécialement motivée.
En cas de reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur pourra recourir à la CRPC, sans disposer toutefois de la possibilité de proposer à l'homologation du tribunal une peine inférieure à la PCI, le seul aménagement possible demeurant la possibilité d'assortir une partie de la peine qui ne saurait excéder un tiers de la peine totale d'un sursis avec mise à l'épreuve.
Cette faveur exceptionnelle encouragera les délinquants à reconnaître leur culpubalité, permettant ainsi une meilleure gestion du traitement en temps réel.

Ce système simple a d’autre part l’avantage de permettre au délinquant de connaître, avant qu’il ne commette une nouvelle infraction, la peine qui sera prononcée contre lui s’il récidive, car nul ne connaît mieux son casier judiciaire que le délinquant lui-même.

Il est donc à souhaiter qu’un projet de loi soit immédiatement déposé, et que la représentation nationale oeuvre sans désemparer à l’édification d’un monument de notre système pénal !

4 octobre 2006

Chaude ambiance...

Lors de sa création sous l’impulsion de Madame Eva Joly, juge d’instruction spécialisée dans le traitement des affaires financières, le Pôle financier avait suscité beaucoup d’espoirs, et tout autant de critiques. Ce pool de magistrats hautement spécialisés, présentés par certains comme l’élite de la magistrature, permettait d’envisager la mise en place d’un système efficace de lutte contre la délinquance financière.

Après avoir beaucoup déçu par ses résultats, le Pôle de la rue des italiens ressemble aujourd’hui davantage à une cité italienne de la Renaissance, prise dans la tourmente des intrigues et des conspirations, où la rancœur et le ressentiment l’emportent sur la réalisation collective de l’objectif commun : instruire.

L’AFP vient d’annoncer que les juges d’instruction Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, chargés d’informer sur le volet dénonciation calomnieuse de l’affaire Clearstream avaient été entendus, en qualité de témoins, par leurs collègues du Pôle, Madame Françoise Desset et Monsieur Thomas Cassuto, saisi par le parquet d’une information pour violation du secret de l’instruction, à la demande du Garde des Sceaux.

Lorsque l’on se souvient que Monsieur Van Ruymbeke, chargé du dossier des frégates de Taiwan, avait été lui-même entendu par ses collègues d’Huy et Pons, et si l’on se rappelle les déclarations peu amènes de Madame de Talancé, qui était co-saisie du dossier des frégates, sur le manque de coopération et de loyauté de son collègue Van Ruymbeke, on reste saisi d’effroi devant l’ampleur de ces guerres fratricides.

C’est alors que se pose la question de la légitimité du pôle financier.

La plupart des énormes dossiers qui ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel se sont effondrés comme des châteaux de cartes, laissant un sentiment de déception chez ceux qui attendaient tant de cette magistrature spécialisée.

D’autant plus que l’essentiel du travail effectué est réalisé par les brigades spécialisées de la police nationale, et que l’intervention personnelle des magistrats se limite dans la majeure partie des cas à un interrogatoire de première comparution et à la rédaction d’une ordonnance de règlement.

Enfin, le caractère éternellement fluctuant de la compétence du pôle financier continue à susciter beaucoup d’agacement chez les praticiens : un jour, un plainte déposée par une société contre X relève de la compétence des juges de droit commun (situé au palais), le lendemain, ce sera l’inverse. Et si la plainte est déposée par une société contre une autre société, les critères sont encore différents.

Toutes ces complications inutiles disparaîtront certainement lorsque le tribunal de grande instance de Paris aura pris possession de ses nouveaux locaux (qui restent à construire), et que l’ensemble des services d’instruction aura été réunifié, tout en conservant chacun leurs spécificités.