18 juillet 2006

Réplique de Me Fernand Labori dans l'affaire Zola

En ces temps de commémoration, il m’est apparu agréable de reproduire cette réplique de Me Fernand Labori, qui assurait la défense d’Emile Zola devant la Cour d’assises en février 1898. Ce passage est extrait de l’Anthologie des avocats français contemporains, de Fernand Payen (Grasset, 1914).

L’avocat général répondant à la plaidoirie de Me Labori avait terminé par ces mots :

« …les insulteurs sont obligés de se cacher ici en criant : Vive l’armée ! (Bravos et longs applaudissements. Cris de : Vive l’armée !)

La France est sûre de vous ! Messieurs les jurés ; prenez pour guide l’âme de la patrie (Applaudissements prolongés). »

Me Labori se dressa à la barre :

Messieurs les Jurés,

Excusez ma voix, car je suis au bout de mes forces.

Il fallait ce dernier incident pour bien montrer entre qui, ici, la question se pose : entre ceux qui, comme le disait Clemenceau, représentent la justice, la liberté et le droit, et ceux qui ne veulent pas que, comme dans tous les procès, la défense ait, à cette heure, la dernière parole.

M. l’Avocat général s’est levé, non pas pour faire une réplique, mais pour me traiter personnellement d’insulteur de l’armée (bruit), car c’est moi qui parle ici depuis deux jours.

Je n’étais pas habitué à recevoir, dans une enceinte de justice, des coups personnels de cette nature ; je ne suis pas de ceux qui se cachent derrière personne, et je ne suis pas de ceux qui accepteront que, même du banc de l’accusation, une parole d’insinuation ou d’attaque monte vers moi…malgré la hauteur du siège dont elle part ! (Applaudissements.)

M. l’Avocat général, trompé, je suppose, et entraîné par les exemples d’autorité que quelques-uns sont venus apporter ici, s’est imaginé qu’il avait le droit de donner des leçons ; je le lui refuse ! Il ne s’est levé que pour lancer quelques paroles éclatantes. Je sais bien, - puisqu’elles étaient courtes et qu’elles ne pouvaient pas avoir d’effet par elles-mêmes, - pourquoi elles étaient préparées : elles étaient préparées pour une manifestation qu’on avait le droit d’attendre d’une salle qui est composée, et composée contre nous.

Cela dit, Messieurs les Jurés, et cela suffit pour répondre, j’ai cependant encore un mot à ajouter… - je vous demande pardon du ton dont je dis tout cela, c’est le seul moyen que j’ai pour vous parler encore ; - je veux ajouter un mot pour préciser la question que vous avez à résoudre et montrer à M. l’Avocat général qu’il est deux façons d’entendre le droit : la sienne et la nôtre.

Il n’y a pas d’autre question qui vous soit posée que celle-ci : M. Zola est-il coupable ?

Messieurs les Jurés, que ces clameurs de ceux qui ne comprennent pas le respect qui est dû à la justice vous dictent la fermeté qui sera la vôtre, et votre devoir !

Vous n’avez qu’une chose à dire, uniquement, en arbitres souverains que vous êtes, placés aujourd’hui plus que tous, plus haut que l’armée, plus haut que la justice elle-même, je veux dire plus haut que la justice ordinaire, parce que vous êtes la justice du peuple qui va, dans un instant là-haut, rendre un jugement historique ! Vous êtes souverains ! Dites, si vous en avez le courage, que cet homme est coupable ! Dites, si vous en avez le courage, que cet homme est coupable d’avoir lutté contre toutes les passions, contre toutes les haines, contre toutes les colères, pour la justice, pour le droit et pour la liberté ! »

La Cour d’assises condamna Emile Zola à un an de prison, et 3 000 francs d’amende.

Clemenceau, évoquant le souvenir du verdict, dit plus tard à la tribune du Sénat :

« J’étais là, quand il a été condamné – nous étions douze – et, je l’avoue, je ne m’attendais pas à un tel déploiement de haine. Si Zola avait été acquitté ce jour-là, pas un de nous ne serait sorti vivant… »

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