- Un étudiant, ajourné à l’examen d’accès à l’Ecole de formation du barreau de PARIS, vient de porter à ma connaissance les difficultés qu’il a rencontrées, à l’occasion du recours exercé à l’encontre de la décision prononçant son ajournement.
Selon une ancienne jurisprudence, l’ordre administratif avait décliné sa compétence pour connaître de tels recours, au profit de l’ordre judiciaire, estimant à juste titre que l’examen d’accès aux centres de formation des avocats relevaient de la compétence exclusive de la cour d’appel territorialement compétente.
La loi du 11 février 2004 a modifié certaines dispositions, relatives à la formation professionnelle des avocats, de la loi du 31 décembre 1971, qui régit la profession d’avocat.
C’est en tirant prétexte de cette réforme que certains Instituts d’Etudes judiciaires ont opposé aux malheureux candidats ajournés, ayant eu l’outrecuidance d’exercer un recours, la prétendue incompétence des juridictions judiciaires au profit des juges administratifs, « juge naturel des examens universitaires » selon l’expression d’un professeur d’université.
Cette exception d’incompétence, purement dilatoire, ne résiste malheureusement pas l’examen des textes et de la jurisprudence tant administrative que judiciaire en la matière.
Contrairement à ce que soutiennent les universités, les modifications apportées à la Loi du 31 décembre 1971 par la réforme du 11 février 2004 n’ont pas eu pour conséquence de soustraire à la compétence de l’ordre judiciaire la connaissance des recours exercés contre les décision prononcées par les jurys des examens d’accès aux CRFPA.
En effet, le législateur n’a pas souhaité, à l’occasion de la loi du 11 février 2004, portant réforme des certaines professions juridiques et judiciaires, modifier l’état du droit positif qui attribue à la cour d’appel la connaissance desdits recours.
D’autre part, la nature et la finalité de l’examen d’accès commandent également cette compétence de l’ordre judiciaire.
Les conditions d’accès à la profession d’avocat ont été organisées par la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée par les lois n°90-1258 et 90-1259 du 31 décembre 1990, ainsi que le décret d’application n°91-1197 du 27 novembre 1991.
Outre les conditions de diplômes et de moralité, l’accès à la profession d’avocat est soumis à l’obtention du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), destiné à sanctionner une formation professionnelle de nature pratique dispensée, initialement, durant une année par un centre régional de formation professionnelle (le centre parisien ayant pris le nom d’Ecole de Formation du Barreau).
Le candidat se présente, à l’issue de la maîtrise ou la même année, à l’examen d’entrée à un centre régional de formation professionnelle, cet examen ayant essentiellement pour but de vérifier si le candidat présente un minimum d’aptitude à l’exercice la profession d’avocat.
L’article 12 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la Loi du 31 décembre 1990, intégrait l’examen d’accès au CRFPA à la formation professionnelle des avocats :
« La formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend, sous réserve du dernier alinéa de l’article 11, des dispositions réglementaires prise pour l’application de la directive CEE n°89- du 21 décembre 1998 précitée et de celles concernant les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités :
1° un examen d’accès à un centre régional de formation […] »
A l’occasion de la réforme entreprise en 2004, tendant à modifier le contenu de la formation professionnelle, le législateur a modifié la rédaction de l’article 12 (article 15 de la loi n°2004-130 du 11 février 2004) :
« Sous réserve de l’alinéa du dernier alinéa de l’article 11, des dispositions réglementaires prises pour l’application de la directive 89/48/CEE du Conseil de Communautés européennes du 21 décembre 1988 précitée et de celles concernant les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités, la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle et comprend une formation théorique et pratique d’une durée d’au moins dix-huit mois, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. »
Il apparaît que la modification de l’article 12 est purement rédactionnelle, sa finalité étant de tirer les conséquences de la suppression du stage de deux ans autrefois imposé à l’avocat après sa prestation de serment, et de l’allongement à dix-huit mois de la formation pratique dispensée par les centres régionaux de formation professionnelle.
L’article 14 de la loi du 31 décembre 1971 attribue une compétence exclusive aux cours d’appel de l’ordre judiciaire pour connaître des recours exercés contre toute décision concernant la formation professionnelle des avocats :
« Les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente. »
Cet article n’a pas été modifié par la loi du 11 février 2004.
Les juridictions administratives et judiciaires, qui ont eu à connaître des recours exercés à l’occasion des examens d’accès aux CRFPA, ont confirmé la compétence exclusive de l’ordre judiciaire, au visa de l’article 12 dans son ancienne rédaction.
En effet, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 22 mars 2000 (CE, n°205901, Mlle KERTUDO/Université PARIS II) a jugé que :
« Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 12 de la loi susvisée du 31 décembre 1971 modifiée : « la formation professionnelle exigée pour l’accès à la profession d’avocat comprend (…) : 1° Un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle (…) » ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 14 de la même loi : « les recours à l’encontre des décision concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente »,
Considérant que les décisions des jurys d’examen d’accès aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats sont des décisions concernant la formation professionnelle des avocats et que les recours contre ces décisions doivent, en vertu de l’article 14 précité, être soumis à la cour d’appel compétente ; qu’il suit de là que c’est à tort que, par le jugement attaqué, la cour administrative d’appel de PARIS s’est estimée compétente pour connaître de la requête de Mlle KERTUDO ; que ce jugement doit être annulé ».
Cette jurisprudence a été constamment appliquée par les juridictions administratives, sur le fondement de l’ancienne rédaction de l’article 12 de la Loi du 31 décembre 1971 (TA PARIS, 31 janvier 2001, Gaz. Pal. 22 mai 2001 ; CAA MARSEILLE, 14 janvier 2006, n°04MA02174 ; CAA BORDEAUX, 15 février 2006, n°01BX02297).
La Cour de cassation s’est également prononcée en faveur de cette solution, par un arrêt du 14 juin 2005 (Civ. 1ère, 14 juin 2005, pourvoi n°03-16.149) :
« Attendu que M. V. reproche à l’arrêt attaqué (VERSAILLES, 19 septembre 2001) d’avoir déclaré la cour d’appel compétente pour statuer sur le recours formé contre la délibération du jury, alors, selon le moyen, qu’en retenant sa compétence pour statuer sur une décision administrative, la cour d’appel a violé les article 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor An II, ensemble le principe constitutionnel de séparation des autorités administrative et judiciaire ;
Mais attendu, d’une part, que selon l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend notamment un examen d’accès à un centre régional de formation et, d’autre part, qu’aux termes de l’article 14 de la même loi, les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente ; qu’à bon droit, l’arrêt attaqué retient qu’il résulte de l’application combinée de ces dispositions que le contentieux des délibérations du jury d’examen d’accès au centre de formation relève de la compétence de la cour d’appel ; que le moyen n’est pas fondé ».
La Cour d’appel est bien compétente, au regard de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, pour connaître des recours exercés contre les décisions des jurys d’examen d’accès au CRFPA, qui doivent être considérés comme des décisions relatives à la formation professionnelle des avocats.
Les universités ont cru devoir contester la compétence des cours d’appel, au profit des tribunaux administratifs.
Au soutien de leurs exceptions d’incompétence, les universités font valoir que la modification rédactionnelle opérée par la Loi du 11 février 2004 devrait conduire à une distinction entre d’une part l’examen d’accès aux centre de formation professionnelle, et la formation professionnelle proprement dite, dispensée par les centres de formation.
Dès lors, l’article 14 de la même loi ne pourrait être appliquée qu’aux décisions des centres de formation professionnelle, les décisions prises à l’occasion de l’examen d’accès relevant de la juridiction administrative.
Cette exception d’incompétence est mal fondée, puisque :
- le législateur de 2004 n’a pas souhaité exclure l’examen d’accès du champ de la formation professionnelle, et encore moins soustraire la connaissance des recours à la connaissance de l’ordre judiciaire,
- bien au contraire, les textes législatifs et réglementaires organisant l’examen d’accès l’insèrent expressément dans le cadre de la formation professionnelle des avocats,
- la nature particulière de cet examen d’accès, ainsi que les modalités de son organisation, plaide également en la faveur de la compétence exclusive de la cour d’appel.
La lecture des travaux parlementaires conduit à considérer que le législateur n’a pas souhaité modifier la nature de l’examen d’accès aux centres de formation, et encore moins soustraire à l’ordre judiciaire la connaissance des recours formés par les candidats ajournés.
En effet, il apparaît à la lecture du rapport du Sénateur Jean-René LECERF que le législateur a entendu maintenir le système antérieur, en ce qui concerne l’examen d’accès, nonobstant les modifications rédactionnelles de l’article 12 :
«Le premier alinéa du texte proposé pour l'article 12 de la loi du 31 décembre 1971 maintient :
- les dérogations actuelles à l'obligation de formation dont peuvent bénéficier les ressortissants communautaires et étrangers et les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités ;
- la condition de réussite à un examen d'accès à un centre régional de formation des avocats préalable à la période de formation. »
Le terme « maintenir » indique suffisamment que les dispositions du projet de loi relatives à l’examen d’accès n’entendaient pas modifier la substance de l’ancienne rédaction, et changer radicalement la nature de l’examen d’accès.
D’autre part, il sera également observé que les dispositions réglementaires prises en application de la loi du 11 février 2004 maintiennent l’examen d’accès dans le champ de la formation professionnelle des avocats.
En effet, il n’est pas contestable que :
- les dispositions relatives à l’organisation de l’examen d’accès sont prévues par les articles 51 à 55 du décret du 27 novembre 1991, dans le chapitre intitulé « La formation professionnelle »,
- les modifications apportées à ces articles, en application de la loi du 11 février 2004, ont été effectués par un décret n°2004-1386 du 21 décembre 2004 « relatif à la formation professionnelle des avocats ».
Les décisions des jurys des examens d’accès sont des décisions concernant la formation professionnelle des avocats, et il convient de faire application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, qui attribue une compétence exclusive à l’ordre judiciaire.
Cette solution a d’ailleurs été retenue par la Cour administrative d’appel, qui a statué sur la nouvelle rédaction de l’article 12 issue de la loi du 11 février 2004 (CAA PARIS, 12 juillet 2005, n°°5PA02264) :
« Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction en vigueur avant le 12 février 2004 : « la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend : 1° un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle » ; et qu’aux termes du même article 12, dans sa rédaction issue de l’article 15 de la loi n°2004-130 du 11 février 2004 : « la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle… » ; que la modification ainsi apportée audit article 12 par la loi du 11 février 2004 n’a pas eu pour effet de faire perdre aux décisions des jurys d’examen d’entrée dans les centres de formation professionnelle des avocats le caractère de décisions concernant la formation professionnelle au sens de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose : « les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente ».
Cet examen n’est pas un simple examen universitaire, dans la mesure il comporte une finalité professionnelle, permettant l’accès du candidat à une profession réglementée.
Suivant les dispositions de l’article 51 du décret du 27 novembre 1991, le programme et les modalités de l’examen d’accès sont fixés par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargés des universités, après avis du Conseil National des barreaux.
L’intervention de la Chancellerie et du Conseil National des barreaux marquent suffisamment le caractère judiciaire de cet examen, pour lequel l’université est obligée de partager ses prérogatives habituelles.
D’autre part, la composition même du jury d’examen confère à l’examen d’accès un caractère original et exorbitant du droit commun. En effet, selon les dispositions de l’article 53 du décret du 27 novembre 1991, le jury est composé :
- de deux professeurs ou maîtres de conférence des universités,
- un magistrat de l’ordre judiciaire,
- trois avocats désignés par le bâtonnier de l’ordre.
Cette composition est exactement celle du jury des centres de formation professionnelle, habilité à délivrer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (article 68 du décret du 27 novembre 1991).
Et il n’est pas contestable que la cour d’appel est compétente pour statuer sur les recours exercés contre les décisions du jury de l’article 68.
Il y aurait une incohérence certaine à soumettre les décisions de jurys composés de la même manière, tantôt à l’ordre administratif, tantôt à l’ordre judiciaire, selon que ces jurys relèvent soit de l’article 53 soit de l’article 68 du même décret.
21 juillet 2006
Conflit de compétence – Recours exercé contre les décisions d’ajournement à l’examen d’accès aux centres de formation des avocats
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3 commentaires:
"la nature particulière de cet examen d’accès, ainsi que les modalités de son organisation, plaide également en la faveur de la compétence exclusive de la cour d’appel."
"D’autre part, la composition même du jury d’examen confère à l’examen d’accès un caractère original et exorbitant du droit commun."
Diriez-vous la même chose de la formation disciplinaire du CSM pour les magistrats du siège, soumis au contrôle de cassation du CE ? Ou pour la compétence administrative pour la carrière des magistrats judiciaires ?
Les résultats de l'examen d'entrée aux Centres régionaux de formation professionnelle des avocats commencent de tomber (notamment pour les épreuves d'admissibilité).
La question de l'ordre compétent pour exercer un éventuel recours reste toujours ouverte, le Tribunal des conflits n'ayant toujours pas statué sur le conflit, et la Cour d'appel de PARIS ayant adopté une attitude pour le moins attentiste dans une autre affaire.
Il sera donc conseillé aux étudiants recalés de saisir directement la Cour d'appel territorialement compétente, en faisant valoir l'argumentation reproduite dans mon post du mois de juillet 2006.
Bonjour,
Je viens d'être ajourné et souhaiterai connaitre mes chances dans l'exercice d'un tel recours? L'examen du CRFPA (écrits) m'a semblé bien réussi et pourtant je n'ai obtenu que des mauvaise notes (6, 7, 10, 10). Je m'estime un peu lésé.
Merci pour votre aide, je souhaite connaitre l'opportunité d'une telle action avant de faire n'importe quoi.
Cordialement,
Nicolas
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