18 juillet 2006

Feu le contrôle juridictionnel des gardes à vues


Les juridictions répressives ont définitivement renoncé à exercer le rôle de gardien des libertés publiques.

Les deux procédures de contrôles, prévues par le code de procédure pénale, consistant pour l’une dans l’information donnée au procureur sur le placement d’une personne en garde à vue, et pour l’autre dans l’entretien du gardé à vue avec un avocat, sont devenues lettres mortes, et sont désormais dépourvues de toute effectivité.

Il est en effet paradoxal de constater qu’à l’heure du rapport de la commission parlementaire d’Outreau, qui propose une nouvelle réforme du régime de la garde à vue (cf. pages 308 et suivantes du rapport), les juridictions correctionnelles, avec la bénédiction de la Chambre criminelle, ont abdiqué définitivement leur pouvoir de contrôle des gardes à vues, et renoncé à prononcer les nullités qui devraient logiquement, et naturellement, dans un système démocratique soucieux du respect des libertés publiques, sanctionner les violations des garanties posées par le législateur.

Que penser en effet du projet d’enregistrement des auditions du gardé à vue, alors que l’avis à magistrat est devenue purement formel ?

Que penser d’autre part du rôle que l’on entend donner à la défense, en lui permettant d’accéder au dossier après les premières 24 heures de la mesure, alors que les observations écrites, prévues par l’article 63-4 du code de procédure pénale, finissent actuellement dans les corbeilles de nos chers commissariats ?

Venons-en au délicat problème de l’avis à magistrat

Selon les dispositions de l’article 63 (enquête de flagrance, de l’article 77 (enquête préliminaire) et de l’article 154 (exécution d’une commission rogatoire délivré par un juge d’instruction), l’officier de police judiciaire doit informer, dès le début de la garde à vue, le procureur de la république de la mesure, ou le magistrat instructeur.

Cette garantie permet au passage à notre système de garde à vue d’être conforme à la convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où un magistrat de l’ordre judiciaire est appelé à « contrôler cette mesure », et que le procureur a cette qualité.

Cette garantie est purement formelle, et l’on peut se demander pourquoi certains officiers de police judiciaire s’obstinent encore à informer « réellement » le procureur, ou le magistrat, alors que la présence d’un simple procès-verbal dans la procédure suffit à valider la procédure.

Expliquons-nous.

L’avis à parquet peut être fait par n’importe quel moyen : en pratique, l’information se fait en général par télécopie à l’attention du substitut de permanence.


La circulaire d’application de la Loi du 15 juin 2000 prévoyait d’ailleurs un luxe surprenant de précisions pour l’avis à parquet (circulaire du 4 décembre 2000) :

« en pratique, les enquêteurs devront mentionner dans leur procès-verbal que le procureur a été informé du placement en garde à vue, en précisant à quelle heure cette information a été effectuée, ainsi que l’identité du magistrat du parquet qui en a été destinataire ».

Cet excès de zèle n’est plus nécessaire : en effet, il importe peu que le procureur ou ses services aient été réellement informés de la garde à vue, dès lors que figure au dossier un procès-verbal d’avis à magistrat, quant bien même ce procès-verbal ne correspondrait à aucune réalité.

Cette lecture policière du code de procédure pénale a été confirmée par certaines juridictions du fond.

Dans un arrêt du 1er décembre 2004, la 3ème Chambre des appels correctionnels de TOULOUSE (jurisdata 2004-273134) a en effet jugé que :

« L’article 63 du code de procédure pénale fait obligation à l’officier de police judiciaire d’informer le procureur de la république dès le début de la garde à vue, mais ne précise pas la forme sous laquelle doit être transmise cette information. La circulaire d’application prévoit qu’il peut s’agir d’un appel téléphonique, d’un fax. Aucune disposition légale ou conventionnelle ne précise sous quelle forme il doit être justifié dans la procédure de l’accomplissement de cette formalité ; dès lors, le procès-verbal de police qui consigne la date et le mode d’information du procureur de la république sous à en justifier.

En l’espèce, la télécopie dont le Tribunal déclare avoir pris connaissance en cours de délibéré n’avait pas été transmise aux parties ; n’étant pas soumise au débat contradictoire, elle ne pouvait en conséquence servir de base à la décision sans une réouverture des débats. Au surplus, cette pièce n’a pas été trouvée dans le dossier soumis à la Cour.

En revanche, le procès-verbal d’enquête qui vaut preuve suffisante des formalités relatées, mentionne que le Procureur de la République a été informé 4 heure 55 de la garde à vue de X, qui a débuté à 4 heures 15. Le délai écoulé de 40 minutes est conforme aux dispositions de l’article 63 du code de procédure pénale, compte tenu du temps nécessaire à l’interpellation et au trajet jusqu’au commissariat.

Il y a lieu en conséquence par substitution de motifs, de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité ».

Dans cette espèce, il convient de relever que le procès-verbal précisait au moins le mode d’information utilisé par les policiers pour informer le parquet (en l’espèce, une télécopie). Le Tribunal de grande instance de PARIS a récemment rejeté une exception de nullité, alors que le procès-verbal ne comportait aucune indication du mode d’information, pas plus que le moindre renseignement sur le substitut informé.

Pour une bonne compréhension de l’arrêt de la Cour d’appel de TOULOUSE, il faut indiquer que les substituts présents à l’audience, lorsqu’une nullité de la garde à vue est soulevée, pour défaut d’information au procureur, sollicitent fréquemment une suspension de séance, pour aller courir chercher dans les archives du parquet la télécopie envoyée par les policiers, en espérant d’une part pouvoir la retrouver, et la produire à l’audience : dans l’espèce soumise à la Cour de TOULOUSE, le parquet a communiqué la télécopie au tribunal pendant son délibéré, sans la soumettre au débat contradictoire : cette pièce a donc été légitimement écartée des débats par la Cour.

Dans un arrêt encore plus récent, en date du 16 mars 2006, la Cour d’appel de PAU a parachevé le caractère purement formaliste de l’avis à parquet (jurisdata 2006-299195) :

« Par conclusions liminaires, le prévenu fait plaider la nullité des poursuites aux motifs d’une irrégularité constatée lors de son placement en garde à vue : la mention de l’avis donné au procureur de la République serait insuffisante au regard de la loi et de la jurisprudence, puisqu’il est seulement précisé dans le PV n°0000/2004 pièce n°23 de la Brigade de Gendarmerie de Proximité de Y « Disons avoir informé le lundi 20 décembre 2004 à 9 heures 40, Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de DAX, de la présente mise en examen », sans préciser le nom du magistrat ainsi averti, et ce alors que la circulaire du 4 décembre 2000 énonce à propos de l’information immédiate de l’autorité judiciaire édictée par la loi du 15 juin 2000 que « en pratique, les enquêteurs devront mentionner dans leur procès-verbal que le procureur a été informé du placement en garde à vue, en précisant à quelle heure cette information a été effectuée, ainsi que l’identité du magistrat du parquet qui en a été destinataire ».

Exigence issue de la volonté du législateur d’encadrer expressément le placement et le déroulement de la mesure de contrainte que constitue la garde à vue, conformément aux dispositions de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et préliminaire du code de procédure pénale.

Faute par le PV litigieux de préciser lequel des magistrats du parquet de DAX a ainsi été informé de la mesure de garde à vue de Roger Y, cette mesure et ce PV, mais encore les actes de poursuites subséquents, sont taxés de nullité.

La Cour constate cependant, que le texte de l’article 63 du code de procédure pénale ne stipule nullement la précision de l’identité ni de la fonction du magistrat du parquet informé de la garde à vue ; que la circulaire invoquée, qui n’a certainement pas force de loi, ne saurait ajouter au texte une exigence qui n’y figure pas, même si les termes de cette circulaire laissent à penser qu’en ce qui concerne l’identité du magistrat, l’obligation est la même que pour l’avis lui-même, et l’heure à laquelle il est donnée.

La mention de ce que cet avis a été donné au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de DAX, suffit en effet à satisfaire aux dispositions de la loi et textes de principe allégués par l’appelant.

L’exception, dont l’examen a été joint au fond, sera donc rejetée. »


Dans ces conditions, la défense est dans l’incapacité de s’assurer que le parquet a bien été informé de la garde à vue, c'est-à-dire de vérifier que le contrôle prévu par le code de procédure pénale a bien été exercé.

En effet, suffirait à justifier de l’accomplissement un avis à parquet rédigé de la manière suivante :

« Disons avoir informé Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de X de la mesure de garde à vue prise à l’encontre du nommé Y, le dix-huit juillet deux mille six, à trois heures, pour des faits de vol aggravé. Dont acte. »

Qui, au sein du parquet, a été informé de la garde à vue ? On n’en sait rien.

Par quel moyen ? On n’en sait rien.

Le parquet a-t-il réellement été informé ? On s’en fiche.

Exit l’information donnée au procureur de la république.

Qu’en est-il maintenant de la seconde garantie, consistant dans l’entretien du gardé à vue avec l’avocat ?

L’article 63-4 prévoit en effet que le gardé à vue peut demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue : à l’issue de cet entretien, l’avocat peut « présenter, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure ».

Quel était, dans l’esprit du législateur, l’intérêt de ses fameuses observations écrites ? Certainement pas de faire un compte rendu de l’entretien de l’avocat avec le gardé à vue, ou de faire l’éloge de l’hospitalité policière.

Ces observations écrites doivent être déposées si l’avocat a pris connaissance au cours de cet entretien de faits intervenus pendant la garde à vue, susceptible de porter atteinte aux droits du gardé à vue (violences policières, recours à un avocat commis d’office alors que le gardé à vue avait demandé un entretien avec un avocat choisi…).

Là encore, nous avons à faire à une garantie purement formelle, sans aucune effectivité.

La jurisprudence du Tribunal de grande instance de PARIS en la matière permet de se faire une idée du sort réservé à ces observations écrites.

Dès lors que le procès-verbal d’entretien du gardé à vue avec un avocat fait bien état du dépôt d’observations écrites, et que les policiers certifient que ses observations écrites ne comportent aucune critique sur le déroulement de la garde à vue, le conseil du prévenu n’est pas recevable à invoquer l’absence desdites observations écrites dans le dossier de la procédure, pour arguer de la nullité de la garde à vue.

Les policiers ont ainsi la possibilité d’apprécier le contenu des observations écrites, et de se dispenser de les joindre à la procédure, s’ils estiment qu’elles ne présentent aucun intérêt.



Mieux encore : les policiers ont également la possibilité de procéder au classement vertical (ie la corbeille) des observations déposées par l’avocat, en s’abstenant de rédiger un procès-verbal d’entretien ave l’avocat, qui ne saurait être une cause de nullité.

Le Conseil du prévenu à l’audience, qui n’est pas toujours le même que celui qui est intervenu en garde à vue n’a dès lors aucune moyen de vérifier si des observations écrites ont été déposées par son confrère.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce post très instructif sur l'encadrement de la garde à vue...

Anonyme a dit…

Petit exemple amusant de ce qui arrive parfois aux fax prévoyant le parquet de GAV.

Polynice a dit…

Eh bien, grâce à l'école normale supérieure, nous savons enfin ce que deviennent les avis à parquet faxés par les officiers de police judiciaire.

J'invite donc tous les avocats, qui, examinant une procédure, ne trouverait pas l'avis à parquet, de téléphoner à l'ENS avant de soulever une nullité de la procédure.