10 août 2006

Dis-moi quel est l’objet de ton appel, sinon je le mets à la poubelle !

C’est un peu la leçon que la Chambre criminelle nous invite à tirer de son arrêt prononcé le 15 mars dernier (Crim. 15 mars 2006. Bull crim n°79, pourvoi n°05-87.299).

La Chambre criminelle a en effet déclaré irrecevable le pourvoi formé contre l’ordonnance de non-admission prononcée par le président de la chambre de l’instruction de PARIS, saisie d’un appel interjeté à l’encontre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, emportant correctionnalisation des faits poursuivis, au motif que l’appel ne précisait pas avoir été interjeté sur le fondement des dispositions du nouvel article 186-3 du code de procédure pénale.

Quelques explications s’imposent.

Contrairement au ministère public, les parties privées (mis en examen et parties civiles) ne disposent pas d’un droit d’appel général contre les ordonnances du juge d’instruction.

L’article 186 du code de procédure pénal énumère très strictement les ordonnances que le mis en examen et la partie civile sont recevables à contester par la voie de l’appel : ordonnance statuant sur une contestation de recevabilité de partie civile, ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, ordonnance de placement en détention, ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises, pour les plus importantes.

Si l’une des parties interjette appel d’une ordonnance qui n’est pas visée par l’article 186, le président de la chambre de l’instruction peut (ce n’est pas une obligation) prononcer d’office une ordonnance de non-admission de l’appel, décision non susceptible de voies de recours.

Pratiquement, l’ordonnance de non-admission permet au président de désengorger la chambre de l’instruction, en rejetant d’emblée les appels manifestement irrecevables.

La jurisprudence de la Chambre criminelle permet toutefois de contester le bien-fondé de la non-admission, s’il apparaît que le président a commis un excès de pouvoir (en langage vulgaire, qu’il a commis une erreur en rejetant un appel qui était recevable au regard de l’article 186).

Pour être parfaitement complet, il convient d’indiquer aux amateurs (de procédure pénale) que l’article 186-1 prévoit d'autre part la possibilité de faire appel d’autres types d’ordonnance du juge d’instruction (ordonnance rejetant des demandes d’actes, des demandes de contre-expertise), ordonnances que nous qualifieront de mineures : les appels concernant ces ordonnances sont soumis au pouvoir de filtrage du président.

Le filtrage, dont il a beaucoup été question devant la Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau (sans d’ailleurs que le rapport en tire toutes les conséquences), consiste dans le pouvoir du président de refuser de saisir la chambre de l’instruction, par une ordonnance motivée, insusceptible de recours, sauf encore excès de pouvoir.

Le pouvoir de filtrage ne se confond pas avec la non-admission : le filtrage suppose une appréciation de l’opportunité de l’appel et partant de la demande formulée par la partie devant le juge d’instruction, alors que la non-admission est la sanction d’une irrecevabilité.

Bien, les choses paraissent claires : continuons (et je vous conseille de vous accrocher, parce que ça va se compliquer un peu…).

Traditionnellement, les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel (rappelons-le, compétent pour juger des délits) ne sont pas susceptibles d’un appel des parties, contrairement aux ordonnances de mise en accusation devant la cour d’assises (qui connaît des crimes), pour des raisons tenant à la fois à la gravité des faits poursuivis, et à l’histoire de nos institutions répressives.

La jurisprudence a toutefois créé une exception, celle des ordonnances complexes (en gros et pour faire très simple, les ordonnances de règlement, qui mettent fin à l'instruction et qui emportent rejet implicite d’une demande formulée par une partie, rejet qui pourrait être contesté devant la chambre de l’instruction).

L’abominable loi Perben II, du 9 mars 2004, a introduit une exception à cette règle : elle permet en effet aux parties, sous certaines conditions, de faire appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (en jargon du palais, nous disons ORTC), dans le seul cas où les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises : c’est l’article 186-3 du code de procédure pénale.

Vous avez été victime d’un vol avec arme (communément appelé braquage), vous avez déposé plainte, et vous vous êtes constitué partie civile pendant l’instruction, ouverte sous une qualification criminelle. A la fin de l’instruction, vous apprenez, en recevant l’ORTC, que les faits ont été requalifiés en vol simple, et que le mis en examen est renvoyé en police correctionnelle.

Avant l’intervention de Monsieur Perben, il vous fallait attendre l’audience correctionnelle, pour soulever l’incompétence de cette juridiction, au profit de la cour d’assises, et reprendre tout le circuit depuis le départ (ou presque).

Maintenant, vous pouvez interjetez immédiatement appel de l’ordonnance de renvoi, et demander à la chambre de l’instruction de prononcer la mise en accusation de l’auteur du crime.

A la condition toutefois que votre avocat prenne la peine d’indiquer, dans la déclaration d’appel, dressée sur ses instructions par le greffe pénal du tribunal, que l'exercice de cette voie de recours trouve son fondement dans les dispositions du nouvel article 186-3 (c’est ce qu’on appelle, au barreau, "mâcher le travail des magistrats").

Dans l’espèce jugée par la Chambre criminelle, une partie civile avait, par l’intermédiaire de son avocat, interjeté appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, pour des faits qui avait été initialement qualifiés de tentative d’extorsion de fonds en bande organisée (faits criminels), puis requalifiés en tentative d’extorsion de fonds (faits de nature délictuelle, la circonstance aggravante n'ayant pas été retenu par le juge d'instruction).

Se fondant sur les dispositions de l’article 186 (qui exclut la possibilité de faire appel d’une ORTC), et en l’absence, dans l’acte d’appel, de précision sur l’objet du recours, le président avait refusé d’admettre l’appel de la partie civile. Le renvoi correctionnel devenait donc définitif.

La Chambre criminelle a estimé que cette décision était fondée, et ne constituait pas un excès de pouvoir (permettant à la partie civile de contester l’ordonnance de non-admission devant la cour de cassation), aux motifs que :

« en effet, l’appel de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n’étant recevable que dans le seul cas où l’appelant estime que les faits sont de nature criminelle et justifient un renvoi devant la cour d’assises, la déclaration d’appel pour échapper à l’irrecevabilité de principe édictée par l’article 186 du code de procédure pénale, doit faire apparaître de manière non équivoque que ce recours est exercé en application de l’article 186-3 dudit code ».

Soit.

Conséquences pratiques pour les avocats : prendre soin de bien dicter au greffier, lors de la déclaration d’appel, le fondement de l’appel, ce qui promet des crises de nerfs mémorables ("Ah bah non, maître, c'est pas possible, vous pouvez pas faire appel, c'est une ORTC…")

Cette solution doit également être appliquée aux ordonnances dites complexes, pour lesquelles les avocats prennent déjà soin de préciser le caractère complexe lors de la déclaration auprès du greffe (là encore, des moments inoubliables d’incompréhension entre gens parlant pourtant la même langue…"Une ordonnance quoi ?")

Critiquons maintenant un peu la Chambre criminelle : cette solution s’imposait-elle ?

Pour justifier l’ordonnance de non-admission en l’absence, dans l’acte d’appel, de précision sur son objet, la Chambre criminelle considère que l’irrecevabilité des appels interjetés contre les ORTC est une irrecevabilité de principe : c’est oublier que l’article 186-3 pose justement une exception à ce principe, et inclut sans ambiguïté les ORTC emportant correctionnalisation dans les ordonnances susceptibles d’appel : par disposition expresse de la loi, ce type d'ordonnance peut être contesté devant la juridiction supérieure.

D’autre part, c’est vouloir ajouter un formalisme contraignant aux déclarations d’appel que le législateur n’avait pas voulu : le code de procédure pénale n’impose nullement de préciser l’objet de l'appel : il est recevable ou ne l’est pas, en fonction de ce que prévoit la loi, sans qu’il y ait lieu de considérer que l’absence de mention de l’objet de l’appel soit une cause d’irrecevabilité.

Ne faut-il pas craindre en effet que la pratique soit contrainte, au regard de cette jurisprudence, d’indiquer systématiquement l’objet de l’appel, par précaution et pour éviter une irrecevabilité, et ce même pour les ordonnances expressément visées par l’article 186 ?

Enfin, comment concilier cette solution avec le fait que le prononcé de la non-admission est une simple faculté pour le président de la chambre de l’instruction, puisqu’il peut librement décider de laisser à la chambre le soin de constater l’irrecevabilité (Crim. 19 mars 1975, Bull crim n°82) ?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour vos mises à jour extrèmement interessantes et salvatrices depuis que mes codes "jurisclasseurs" sont périmés...

Et hop un RSS de plus sur mon netvibes.

Polynice a dit…

D'autant plus que cette jurisprudence n'est pas sans incidence pratique...